Penser les polymères du futur,
dès aujourd’hui

Professeure à l’INSA Lyon et directrice du laboratoire Ingénierie des matériaux polymères (IMP [1]), Jannick Duchet-Rumeau a fait des interfaces et de la structuration des polymères son domaine d’expertise. Ses recherches visent à concevoir des matériaux toujours plus performants, mais aussi plus verts et plus durables. Elle codirige aujourd’hui le PEPR Recyclage.

Dans nos téléphones comme dans nos textiles, dans les coques de kayak ou les réservoirs à hydrogène, les polymères sont partout. Mais ces matériaux, longtemps célébrés pour leur légèreté et leur polyvalence, sont désormais scrutés pour leur impact environnemental. « Les plastiques ont connu un énorme engouement depuis les années 1970. Désormais, il est devenu urgent de développer des procédés pour mieux gérer leur fin de vie, mais aussi leur conception afin de les rendre plus durables et recyclables », souligne Jannick Duchet-Rumeau, professeure à l’INSA Lyon et directrice de l’IMP.

Les interfaces comme fil rouge

Formée comme ingénieure matériaux à l’INSA, Jannick Duchet-Rumeau s’intéresse pendant sa thèse aux composites fibre-polymère. Elle étudie alors comment marier la rigidité de la fibre de verre et la ductilité du polyéthylène, un plastique de grande consommation. « J’ai toujours travaillé sur les interfaces, ces couches fines qui conditionnent la continuité entre les différents constituants d’un composite », précise-t-elle.

Ses post-doctorats, en Belgique et au Québec, prolongent son exploration des petites échelles : nanotubes de polymère, cristallisation aux interfaces… Autant de structures invisibles à l’œil nu – allant du nanomètre au micron – qui dictent le comportement d’un matériau tout entier. Puis, de retour à Lyon, elle poursuit cette approche dans le laboratoire de sa thèse, où elle mène toujours ses recherches aujourd’hui.

Crédits : Journal Le Progrès

Une maîtrise des liquides ioniques

Dans les années 2000, Jannick Duchet-Rumeau s’intéresse aux nanocharges – minuscules particules d’argiles, de carbone ou de graphène – capables de modifier en profondeur les propriétés d’un polymère, même à faible dose. Mais comment éviter qu’elles ne s’agglutinent en « mottes » inefficaces ? C’est là qu’entrent en scène les liquides ioniques, des sels liquides qu’elle décrit comme de véritables « couteaux suisses » de la chimie. Leur rôle est de briser ces amas pour transformer une poignée de blocs en une fine poudre bien dispersée dans le polymère. Résultat : les particules interagissent bien mieux avec la matrice et confèrent au matériau des propriétés ciblées, comme l’hydrophobie ou la résistance au feu.

Peu à peu, l’usage des liquides ioniques s’élargit. « Nous les utilisons notamment comme agents de couplage fibre-matrice, comme réactifs pour concevoir de nouveaux réseaux polymères, mais aussi comme solvants en fin de vie des matériaux », illustre la chercheuse. Ils ouvrent également la voie à des résines époxy plus vertueuses que celles issues du bisphénol A. Ces polymères, omniprésents dans les colles, vernis ou composites aéronautiques, médicaux ou encore agroalimentaires, sont réputés pour leur solidité… mais aussi pour leur absence quasi totale de recyclabilité. L’enjeu pour Jannick Duchet-Rumeau a donc été de concevoir des réseaux tout aussi performants, mais intégrant dès la conception des points faibles programmés pour pouvoir être défaits en fin de vie et favoriser le recyclage.

Quand la fin de vie devient centrale

Longtemps, le recyclage a été perçu comme une problématique secondaire, voire purement technologique. L’évolution du regard de la société sur les plastiques – microplastiques, déchets marins – a changé la donne.

Dans les recherches de Jannick Duchet-Rumeau, cette dimension s’est imposée naturellement. Elle a ainsi conçu des emballages qui se vident mieux, réduisant à la fois le gaspillage et facilitant le recyclage. Elle a développé des composites dotés de liaisons réversibles, capables de s’auto-réparer et donc de durer plus longtemps. Elle utilise enfin les liquides ioniques pour séparer les constituants d’un textile ou d’un emballage multicouche et en permettre la réutilisation.

Rassembler les énergies autour du recyclage

En parallèle de ses recherches, Jannick Duchet-Rumeau dirige l’IMP depuis 2021, où elle fédère plus de 200 personnes autour d’une feuille de route claire : améliorer les performances des polymères tout en les rendant plus verts et plus durables. Son engagement se prolonge dans le PEPR Recyclage, dont elle a co-encadré l’axe textile. Un PEPR qu’elle codirige désormais avec Cyril Aymonier, directeur de recherches CNRS et directeur de l’ICMCB[2].

Ce nouveau rôle illustre une conviction forte de la chercheuse : sa recherche doit servir la société. « La science des matériaux est une recherche appliquée par nature. J’aime transformer une contrainte industrielle en question scientifique », souligne-t-elle. Une dynamique qu’elle transmet aussi à ses étudiants, en illustrant ses cours d’exemples concrets issus de ses travaux et de collaborations avec l’industrie. Elle conclut : « Nous devons apprendre à penser la fin de vie d’un polymère dès sa conception et transmettre cette vision aux futures générations de scientifiques si nous voulons ancrer une dynamique pérenne de matériaux plus vertueux, plus réparables et toujours performants ».


[1] IMP, CNRS/INSA Lyon/Université Claude Bernard/Université Jean Monnet

[2] Institut de Chimie de la Matière Condensée de Bordeaux (CNRS/Université de Bordeaux/Bordeaux INP)

Photo de couverture : Ruban de polymère. Photographie prise au microscope électronique à balayage.
© Didier COT/CNRS Images


Plus d'actualités

 Design et ingénierie : changer de paradigme
  • Newsletter
  • Textiles
Design et ingénierie : changer de paradigme
Les travaux de l'EnsadLab allient design et sciences des matériaux, pour inclure la décoloration des teintures naturelles dans la définition de motifs textiles.
16 septembre 2025
 Portrait de chercheuse – Agathe Vaché
  • Newsletter
  • NTE
Portrait de chercheuse – Agathe Vaché
Portrait de la jeune chercheuse Agathe Vaché, qui travaille à l'amélioration des processus de recyclage hydrometallurgique.
12 février 2025