Les travailleurs du fer
à Istambul

Alors que l’exposition « La mise en image du rebut » par le collectif SUD continue de tourner en France, deux de ses membres, le sociologue Pascal Garret et la géographe Bénédicte Florin, ont récemment publié un article sur le recyclage des métaux à Istanbul dans la revue Flux (Université Gustave Eiffel).

En Turquie, environ 500 000 récupérateurs informels de matériaux recyclables participaient en 2022, par leurs activités de collecte à 80 % du recyclage total. À Istanbul, s’il est difficile d’évaluer leur nombre exact, ces récupérateurs extraient du stock urbain d’ordures ménagères, estimé à 8 millions de tonnes annuelles, plus de 500 000 tonnes de matériaux, dont les trois-quarts sont des déchets d’emballage ; 6 millions de tonnes partent en décharge, le reliquat étant incinéré. Initié en 2017 par Emine Erdoğan, épouse du président turc, soutenu par l’Union européenne et le PNUD, le programme Zéro Déchet, Sıfır Atık, favorise des entreprises privées qui contribueraient pour 13 % aux quantités recyclées. La captation de la ressource recyclable, déjà triée, par ce secteur privé progresse, d’autant plus que celui-ci est conforté par des lois interdisant la collecte informelle. En témoignent, depuis une dizaine d’années, les démolitions des dépôts de petits grossistes, de même que l’arrestation, en octobre 2021, de 200 récupérateurs migrants. Ces politiques publiques se mettent en place sans concertation, ni avec ces grossistes intermédiaires qui alimentent en matériaux les usines, ni avec les récupérateurs.

En dépit de ces tensions, les récupérateurs, toplayıcılar, poursuivent leurs collectes des cartons, plastiques, ferrailles et autres objets, délestant la ville de quantités de matériaux, vendues aux entreprises de recyclage via des grossistes informels ou formels. Si la récupération au premier kilomètre est déjà bien documentée, la suite des filières l’est moins alors que les grossistes constituent des maillons intermédiaires stratégiques et indispensables, de même que les fondeurs qui réinjectent ces matières premières secondaires dans le cycle de production : or, « (…) la valeur se crée précisément dans la diversité des capacités de transformation de la matière »

« Dans la continuité de nos recherches antérieures sur les récupérateurs de matériaux recyclables en Égypte, en Turquie et sur les « ferrailleurs » de la banlieue parisienne, ce portfolio est réalisé à partir d’entretiens menés à Istanbul entre 2014 et 2024. Il met en lumière une boucle historique, économique et sociale : à la recherche des « travailleurs du fer », nous avons rencontré des patrons d’ateliers de produits finis qui appartiennent à la communauté rom stambouliote dont les savoir-faire dans les métiers des métaux sont ancestraux », écrivent le sociologue Pascal Garret et la géographe Bénédicte Florin (CITERES – Université de Tours)


Pascal Garret et Bénédicte Florin sont membres de l’axe SHS du PEPR Recyclage, piloté par Jean-Baptiste Bahers, Chargé de recherche CNRS et Mathieu Durand, Professeur des universités (Espaces et Sociétés, Le Mans Université), un axe transverse qui travaille en interdisciplinarité avec les axes « matériau » et « filière » du programme.

Comment, dans le monde contemporain, face aux impératifs du développement durable, les déchets circulent-ils ou doivent-ils circuler ? Quelle est l’importance et la signification environnementale, éthique, économique et sociale de la circulation des déchets ? En mobilisant la littérature scientifique sur l’économie politique de la production urbaine et sur les grands réseaux techniques, l’écologie politique et territoriale, les comportements des consommateurs, les nouveaux modèles d’affaires, les enjeux éthiques, moraux et politiques des déchets, ce projet permet de questionner les évolutions socio-techniques, socio-économiques et socio-politiques de la gestion des déchets, y compris la réutilisation et le recyclage.

Florin, B. et Garret, P. (2024). 
Gens, lieux et gestes du travail : le recyclage des métaux à Istanbul. Flux, 138(4), 107-126. 
https://doi.org/10.3917/flux1.138.0107.


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